La photographe des Chefs : rencontre avec Géraldine Martens

Une marseillaise que tous les restaurants parisiens s’arrachent, ça interroge forcément, non ?

Par sa vison et sa créativité, Géraldine Martens a su très vite mettre tout le monde d’accord. L’occasion d’en savoir plus sur son expérience passionnante et l’origine de son goût pour la gastronomie et la photographie !

Bonjour Géraldine ! 👋 Peux-tu nous raconter ton histoire et ton parcours : pourquoi la photographie, et la photographie culinaire en particulier ? 

Je m’appelle Géraldine Martens, j’ai 29 ans. Je suis née à Marseille, mes parents ont un atelier d’architecture sur le Vieux-Port. Mon père est architecte et ma mère s’occupe de toute la gestion administrative de l’atelier. Ils m’ont beaucoup influencé et encouragé dans mon choix de me lancer en tant qu’indépendante ; par la manière qu’ils ont de manager leurs équipes et le fait qu’ils soient de fonction libérale et qu’ils travaillent ensemble.

Ils ont commencé très tôt notre éducation alimentaire (j’ai une grande sœur et un petit frère), petite j’adorais déjà certains goûts prononcés comme les huîtres, les oursins, la poutargue ou encore le foie de veau. Mes parents ont toujours pris plaisir à cuisiner, particulièrement mon père qui sait très bien réaliser à sa façon des spécialités familiales : le curry mauricien, la bouillabaisse marseillaise, la soupe au pistou provençale ou encore le roumazave malgache. 

Mon père a toujours été passionné par la photographie. Il m’a transmis sa passion assez tôt, je me souviens une année au primaire on s’était baladé au Corbusier à Marseille il m’avait raconté l’architecture du bâtiment et m’avait donné quelques angles de vue pour l’immortaliser avec mon appareil photo jetable. Avec ma soeur d’ailleurs une fois nous avions fait un stage d’une journée chez un développeur Kodak pour découvrir comment développer ses photos. 

Au lycée mes parents m’ont offert mon premier reflex Nikon. J’avais fait un stage d’observation dans le studio d’un ami photographe proche de mon père. 

À cette époque je voulais m’orienter vers les métiers du cinéma, la fiction m’attirait. 

Pour mon Bac L j’avais choisi la spécialité et l’option Art et ne réalisais que de l’image dans ces cours : photos, montages Photoshop, courts métrage…

J’avais passé les concours pour une école de cinéma à Paris (ESRA) mais je me suis défilée, je n’étais pas prête. Pour surmonter ma frustration ma mère m’a encouragée à m’inscrire à la Fac de lettre de Marseille dans un parcours dans les langues, comme j’aimais l’anglais et la culture anglo-saxonne. En parallèle, mon père m’avait présenté à une amie directrice de la rédaction d’un magazine lifestyle et luxe (COTE Magazine Marseille). Tout l’été avant le début de ma licence, j’ai été pigiste junior et assistante photographe. J’ai découvert un métier passionnant et cette entrée dans le monde professionnel m’a redonné confiance en moi et en mes compétences. 

La cuisine a commencé à prendre plus de place à cette période. Je regardais toutes les émissions culinaires à TV et me suis mise à réaliser des préparations sucrées pour ma famille, mes amis etc. C’était un vrai moyen pour moi de décompresser à l’approche du bac. Un véritable terrain de jeu ! En plus de suivre des recettes, l’univers et le parcours des chefs m’intéressaient, ça devenait une vraie passion. Pour immortaliser mes réalisations, je les prenais en photo tout en faisant attention à l’angle et au dressage, au stylisme… Et à chaque sortie au restaurant, je m’armais de mon appareil photo.

À la fac j’ai étudié, en plus de l’histoire et la littérature anglaises, les médias anglophones et le cinéma. Finalement je me rapprochais de mes premiers amours, et j’ai adoré ces matières ! Je suis partie faire ma dernière année de licence en Angleterre, à Liverpool. J’ai tellement aimé cette ville ! En dehors des cours, je partais découvrir la ville et ses adresses pour manger correctement, le tout avec mon appareil photo autour du cou. J’ai déniché de supers petites adresses indépendantes (parce qu’à l’époque, il y avait pas mal d’enseignes industrielles pour se restaurer) que je prenais plaisir à photographier et à en parler sur Facebook, Tumblr (ça remonte, hein) et un blog « food » français qui cherchait des contributeurs. Malgré mon coup de cœur pour cette ville, la cuisine française me manquait (les oursins surtout, j’avoue) ; mes parents m’envoyaient régulièrement du chocolat Bonnat pour réussir mes cookies ainsi que chaque numéro de Fou de Pâtisserie. Sinon le matin avant de partir en cours, je dévorais les articles de Gilbert Pytel à l’époque du blog « le bec sucré parigot » hébergé sur Le Monde. 

Pendant nos vacances de Noël en famille, on était parti au ski à Courchevel et  nous avions dîné à la brasserie de l’hôtel Le Chabichou en arrivant. Pour l’anecdote, mon père avait refait les cuisines de l’établissement une dizaine d’années auparavant, on connaissait donc bien la famille propriétaire de l’époque et mon père avait demandé au fils s’il était possible que je passe un moment en pâtisserie pour observer en tant que passionné. J’y ai passé la semaine avec mon appareil photo ; du matin au soir, j’aidais aux préparations, pré-desserts, mignardises, goûter… et surtout pendant les services où j’ai vécu le vrai coup de feu du 24 décembre !

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Ce fut une révélation : quand je serai grande je ferai du reportage immersif en cuisine.

Une fois la licence en poche, je rentre en France et suis fin prête à m’installer à Paris où j’effectue un master média & communication à l’ESJ Paris. 

Avant la rentrée, je me rends au festival de la gastronomie Les Étoiles de Mougins où j’ai rencontré de nombreux chefs pâtissiers et fait la connaissance de Jeffrey Cagnes qui m’a énormément aidé par la suite et est devenu un ami.

À l’ESJ j’orientais chacun de mes travaux pratiques scolaires autour de l’actualité « food » et continuais à contribuer pour des blogs dont un dédié à la pâtisserie. Je me faisais accréditer dans les événements culinaires pour écrire des petits sujets et faire des reportages photos. J’ai adoré cette époque, j’en prenais plein la vue ! 

J’ai construit mon réseau de cette façon. 

Durant l’année, Jeffrey Cagnes qui venait de prendre de poste de chef de Stohrer (la plus ancienne pâtisserie de Paris) m’a donné ma première mission : m’occuper des photos des produits et gérer les réseaux sociaux de la Maison. Finalement les médias sociaux m’ont plus plu que de poursuivre une voie journalistique.

Au lendemain de mon Master, 3 options s’offraient à moi : je me lance en tant qu’indépendante, je poursuis des études, j’intègre une agence.

Avec des parents libéraux et mon petit réseau qui se formait, je n’ai pas hésité très longtemps. Mon mantra pour avancer c’est « au pire, c’est pas grave ». Si jamais ça ne fonctionne pas, on peut toujours avancer autrement. L’indépendance professionnelle ne m’a jamais fait peur. 

J’ai commencé mon activité en proposant un package photo + réseaux sociaux, aujourd’hui et depuis un moment je ne fais que des prestations photos et un peu de stratégie sur la direction artistique pour les réseaux sociaux de certains clients. 

En 2016, j’ai réalisé ma première expo photo à l’occasion du Salon du Chocolat ! J’avais créé une série d’images en collaboration avec des chefs pâtissiers et cuisiniers que j’admire. Le thème était « le chocolat comme matière », il fallait que les chefs utilisent le chocolat comme un peintre utilise de la peinture, sans se soucier de la contrainte « assiette » ou produit boutique. On s’est bien amusé ! J’ai fait évoluer cette série pendant 3 ans jusqu’aux 20 ans du Salon, juste avant le COVID-19.

J’aimerais bien refaire une exposition photo dans un futur proche, c’est génial comme expérience. 

Selon toi, quel rôle ont aujourd’hui les réseaux sociaux pour la photographie culinaire ? 

Les réseaux sociaux m’ont beaucoup aidé à développer et enrichir mon réseau. 

Instagram par exemple, est une vraie vitrine, un vrai portfolio. Je l’alimente de mes photos issues de différents shootings. 

Ce réseau permet de mettre en avant mon travail mais aussi celui du client, il y a un certain échange de visibilité finalement. 

Aujourd’hui avec le nouvel algorithme, c’est plus compliqué de performer en postant uniquement du contenu photo, il faut se mettre à la vidéo. Ce challenge n’est pas évident mais me convient !

En revanche ce n’est peut-être pas le cas pour tous les photographes puisque la vidéo et la photo sont deux métiers distincts. 

La difficulté des réseaux sociaux pour moi c’est comment créer de l’engagement et de l’interaction, ne m’adressant pas à une communauté, c’est une vraie difficulté mais je m’en fiche un peu, le plus important pour moi en réalité c’est que mon feed soit joli. 

Pour s'inspirer avec le compte de Géraldine 👉 @geraldinemartens

Pour s’inspirer avec le compte de Géraldine 👉 @geraldinemartens

Pour mes clients, l’intérêt d’être sur les réseaux sociaux et de poster du contenu de qualité est très important pour leur visibilité. 

Aujourd’hui, moi la première, je me rends d’abord sur le compte Instagram d’un restaurant, puis parfois sur le site mais ce dernier est souvent plus figé tandis que sur Instagram, l’actualité est plus fraîche, il est plus facile pour le consommateur/client de se projeter dans l’univers du restaurant de façon digitale en explorant son compte Instagram

Sur quels sujets interviens-tu aujourd’hui pour les établissements ? Peux-tu nous parler des projets et établissements que tu accompagnes ?

Je fais des prestations photos pour des restaurants, pâtisseries, marques soit en direct avec eux, soit via leur agence de communication.

Les photos sont exploitées sur les sites internet et réseaux sociaux des clients, dossiers/communiqués et articles de presse. 

Je fais autant de prestations « one-shot » pour le lancement d’une adresse par exemple qui a besoin d’une première banque d’images que de prestations régulières, souvent mensuelles.

Pour les restaurants, je shoote à chaque changement de carte, pour les pâtisseries à chaque nouvelle création. Je fais également des portraits de ces gens qui font l’adresse, photographie les lieux. Pas uniquement l’assiette, mais tout l’environnement. J’adore shooter les petits détails. 

Je garde mon ADN reportage, en immersion, que j’adore. 

Pour les photos de produits que je réalise en studio et où je dois créer un univers autour, je fais généralement appel à ma styliste Marion Chibrard.

Je photographie également pour des médias, notamment le magazine Z qui me commande une photo par mois pour illustrer les articles « adresses coups de coeur du mois » ainsi que pour des maisons d’édition. Depuis 2019 j’ai travaillé sur 7 livres qui sont sortis et cette année 2022 j’ai bossé sur 5 livres qui sortiront entre septembre et novembre. 

Avec Déborah Dupont de La Librairie Gourmande, nous avons lancé « La collection de nos rêves » aux Editions First, il s’agit de livres de recettes d’un produit comme le cookie, où nous proposons nos recettes, celles de chefs mais aussi un gros chapitre technique pour comprendre le produit en question, ses matières premières et pourquoi parfois on le foire. 

Je m’occupe toujours de Stohrer, en photo et gestion des réseaux sociaux et pour Taste of Paris, je m’occupe de photographier les plats des chefs en amont du festival ainsi que toute la partie DA/création de contenu réseaux sociaux. 

Pour ces deux clients, j’aime travailler en équipe avec mon alternante pour Stohrer qui gère aujourd’hui le community management et avec deux autres photographes pour le festival, une équipe créative de choc orchestrée de mains de maître par mon amie Mathilde Delville, la programmatrice de l’événement. 

Qu’est-ce que, pour toi, la photo culinaire PARFAITE ?

C’est la photo qui te donne tellement envie de manger le produit/l’assiette en question que tu te retrouves déjà attablé/le produit en question en main, prêt à le savourer !

C’est la photo qui te plonge dans l’univers du chef (par exemple) que tu as l’impression de connaître ou du moins qui te donne envie d’aller le rencontrer. 

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C’est un des meilleurs compliments qu’on puisse me faire : J’ai vu ta photo, ça m’a donné envie d’y aller. 

Pour moi la photo culinaire parfaite n’est pas fondamentalement « foodporn ». D’ailleurs, je n’aime pas ce terme. Ça connote quelque chose de sale, limite degeu un peu. Je préfère qu’on me dise « j’ai vu ta photo, ça m’a donné envie d’y aller » que « j’ai pris 10 kilos rien qu’en voyant ta photo ». Le compliment n’est plus le même !

Est-ce que tu as des produits ou des plats en particulier que tu préfères mettre en avant à travers ta photographie ? 

J’aurais tendance à dire que je me sens plus à l’aise à prendre en photos les produits ou plats que j’aime consommer mais en réalité, le storytelling m’importe beaucoup trop donc même si je ne pourrai jamais manger l’assiette en question, si l’histoire me touche et qu’éthiquement je suis en phase (sourcing, saisonnalité…) je vais prendre plaisir à photographier.

Par exemple, j’ai travaillé sur les 2 livres d’un ami, Bastien Petit, édités chez First. Le premier, « Les croques » est sorti en septembre dernier et le second, qui traite sur des recettes à base de fromages fondus, gratinés… sortira en septembre prochain. Je ne mange ni croques, ni plats à base de fromages fondus (genre la tartiflette, au secours), ça ne me plaît pas et même sans avoir goûté les recettes, je suis très fière d’avoir réalisé les deux livres de mon ami parce que c’était pour lui, avec lui et avec d’autres potes, notamment Marion que j’ai cité plus haut. 

La relation humaine joue énormément dans ma façon de travailler ; c’est ça que j’aime mettre en avant finalement, l’humain.

Quel(s) conseil(s) donnerais-tu pour réussir à coup sûr sa photo de plat ?

Les conseils vont dépendre du matériel de chacun mais quel que soit l’appareil utilisé faut trouver le bon angle, gérer sa lumière et se poser la question « qu’ai-je envie de raconter ? »

Un grand merci à Géraldine pour ses réponses à nos questions ! 🙌

Vous pouvez retrouver son univers et ses réalisations sur son compte Instagram.

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